Youri Gagarine

Publié le 06 janvier 2016

Youri Gagarine dans le bus qui l’amène vers la fusée Soyouz et le vaisseau Vostok à bord duquel il va devenir le premier homme dans l’espace. Derrière lui, à droite, Guerman Titov, sa doublure.Crédit : DR

Imaginez-vous un moment cinquante ans plus tôt, le mercredi 12 avril 1961 dans une région perdue du Kazakhstan, alors une des républiques de l’Union Soviétique. Il est 5h30 du matin et Youri Gagarine se lève. En dépit de l’heure matinale, il n’est nullement fatigué car la grande aventure qui l’attend le motive au plus haut point et il s’est endormi à 22h00 la veille.

Un cosmodrome secret

Alors qu’il s’apprête à entrer dans l’histoire, le jeune homme de 27 ans se trouve en quelque sorte dans un lieu qui n’existe pas ! En effet, le cosmodrome de Tiouratam inauguré en 1955 a été volontairement baptisé Baïkonour, une ville réelle, mais éloignée de 370 km de la base spatiale soviétique ! Le subterfuge vise à tromper les espions de «l’impérialisme capitaliste». À l’époque, le monde vit coupé en deux, bloc Est contre bloc Ouest et principalement l’URSS (Union des Républiques Soviétiques Socialistes) contre les États-Unis.
En même temps que Youri Gagarine, un autre cosmonaute potentiel se lève, Guerman Titov, 25 ans. Tous deux appartiennent à une sélection de 19 hommes retenus par une commission médicale à partir de 1959 dans le but de participer à une aventure incroyable : ouvrir les portes de l’espace à l’espèce humaine. Guerman Titov joue toutefois le rôle de doublure, chargé de remplacer Gagarine au pied levé si sa santé s’avère défaillante ce 12 avril. Il n’en est rien. Les deux hommes prennent leur petit déjeuner et sont assistés afin d’enfiler leur scaphandre.

Youri Gagarine, image de la nation soviétique

Titov et Gagarine, tout comme leurs collègues, ont subi d’éprouvants entraînements et examens médicaux. De fait, la sélection finale repose sur des choix politiques. Fils d’instituteur, Guerman Titov incarne moins l’idéal de la société prolétarienne soviétique qu’un Youri Gagarine fils d’un charpentier et d’une mère ouvrière agricole. Alors qu’il s’orientait vers une modeste carrière de métallo, la fréquentation d’un aéroclub du peuple lui ouvre la porte de l’armée de l’air. Mais il serait faux de croire que cette origine en phase avec la doctrine de Moscou s’impose comme le seul critère de choix. Youri Gagarine présente d’objectives qualités d’assiduité, de sérieux au travail, de résistance physique et de sang-froid. De plus, en tant que grande lectrice, sa mère lui a très tôt inculqué le goût de la littérature et ainsi favorisé un éveil intellectuel certain. Enfin, le jeune homme, malgré sa petite stature d’un mètre cinquante-huit (idéale en fait pour l’exigu vaisseau qu’il va emprunter) rayonne d’un évident charisme souligné par un sourire radieux.

Hommage vidéo au vol historique de Gagarine avec un montage d’images d’archives

Le bus s’arrête pour une raison très pratique. Gagarine et Titov se rendent vers le pas de tir dit n°1 en bus. Tous deux savent que la fusée Soyouz (elle portera ce nom plus tard, à l’époque on parle de la R7 ou Semiorka), un missile reconverti en lanceur spatial au sommet de laquelle est placé le vaisseau Vostok, est loin d’être un modèle de fiabilité : dans sa version 8K72K elle accumule 8 échecs lors de ses 15 vols ! Mais l’homme qui est derrière cette fusée s’avère être un véritable génie, Sergueï Korolev. Cet ingénieur, victime des purges staliniennes, est devenu le maître d’oeuvre des succès éclatants de son pays en matière spatiale, comme, le 4 octobre 1957, Spoutnik, le premier satellite artificiel de l’histoire. Au départ peu favorable aux lubies orbitales de Korolev et ses acolytes, le pouvoir communiste a changé d’avis face à la propagande efficace que fournissent Spoutnik et d’autres premières spatiales. Âgé de 54 ans, l’ingénieur natif de l’Ukraine ambitionne depuis longtemps d’inaugurer l’ère des vols habités. Il a également dirigé la mise au point du vaisseau Vostok et considère Gagarine comme un fils. La confiance et le respect mutuel entre les deux hommes sont indéniables. En conséquence, Gagarine sait le risque qu’il court, mais il sait aussi que Korolev a mis tout son génie dans la préparation de ce vol.

Youri Gagarine et Sergueï Korolev (à droite).Crédit : DR

Toutefois, en attendant le moment historique, le futur cosmonaute est rappelé à l’ordre par un besoin naturel. Le bus qui l’amène au pas de tir s’arrête et il en descend pour soulager sa vessie. Surprenant, le geste est également pratique : sa mission ne devant durer qu’une centaine de minutes, le vaisseau Vostok ne dispose pas de toilettes ou de système apparenté et il convient donc de se débarrasser de ce qui peut l’être ! Par la suite, les cosmonautes soviétiques puis russes, et même les astronautes étrangers invités, se soumettront à cette miction au pied du bus en un mélange surprenant de tradition et de superstition (pour des raisons évidentes, les femmes font semblant).

«On y va !» Une heure et demie après son réveil, soit à 7h00, Youri Gagarine se positionne sur son siège au sein du Vostok perché au sommet de la fusée Soyouz. Celui qui l’assiste n’est autre qu’Oleg Ivanovski, un ingénieur qui par la suite participera à des programmes de sondes robotiques vers la Lune, Vénus et Mars. Il se penche vers Gagarine et lui murmure à l’oreille le code secret de trois chiffres, 125, qui lui permettra de désactiver le pilotage automatique en cas d’imprévu. Tout sourire, Gagarine lui apprend qu’il le connaît déjà grâce au général Kamanin, le responsable des cosmonautes.

Youri Gagarine accède au sommet du lanceur et à son vaisseau Vostok. L’homme qui l’accompagne est Oleg Ivanovski.Crédit : Roscosmos

Cet échange terminé, la fermeture de l’écoutille circulaire d’une centaine de kilos ne se déroule pas comme prévu. Dans sa salle de contrôle, Korolev, dont le caractère exigeant est légendaire, estime que le signal de fermeture n’est pas correct. En  fait, un capteur d’étanchéité donne une indication erronée. Aussitôt Korolev ordonne que la trentaine d’écrous soient ôtés, l’écoutille retirée puis remise en place et à nouveau boulonnée ! Youri Gagarine assiste à la scène sanglé sur son siège sans montrer la moindre inquiétude.
Il est 9h07 lorsque les moteurs de la fusée Soyouz s’emballent et provoquent son décollage. Youri Gagarine prononce alors son célèbre et sobre «On y va !» («Poyekhali» en russe).

«C’est très beau»

Deux minutes plus tard, les 4 étages latéraux se détachent tandis que le corps central continue sa poussée. Le vaisseau Vostok et son petit étage propulsif additionnel prennent ensuite le relais. Ce dernier étage est largué après 11 minutes et 16 secondes d’ascension. Youri Gagarine est désormais sur orbite et survole la Sibérie. L’altitude maximale qu’il atteindra sera de 327 km avec une vitesse de 28.260 km/h. Jamais personne n’a été aussi haut et aussi vite. Et bien évidemment, il est aussi le premier homme dans l’espace. «Je peux voir la Terre» lance-t-il avec d’autres informations par radio. Alors qu’il passe au-dessus du Pacifique, il perd la liaison radio vocale (ce qui était prévu) et continue en morse. L’impesanteur ne le gêne nullement et il envoie un poignant «C’est très beau».

12 avril 1961 : une fusée Soyouz emporte le premier engin spatial à bord duquel se trouve un être humain. Aujourd’hui encore, ce pas de tir est celui utilisé pour les missions habitées russes. Les Expéditions vers la Station Spatiale Internationale partent du même endroit que Youri Gagarine.Crédit : DR

Le premier tour de Terre orbital d’un homme arrive à sa fin à 10h25. Au-dessus de l’Afrique, le module de service accroché à la capsule sphérique met à feu ses rétrofusées. Freiné, le Vostok entame sa descente… et l’imprévu survient. Le module de service doit normalement se détacher de la partie sphérique habitée. Il n’en est rien et le vaisseau tournoie sur lui-même. Le cosmonaute supporte stoïquement cette «danse» infernale. Il ne dit rien à la radio, car il sait que la crédibilité de Korolev est en jeu. Après dix minutes de suspens, le module finit par céder, ses attaches résiduelles ayant probablement été détruites par la chaleur de la rentrée atmosphérique. La partie sphérique du Vostok ralentit ensuite de façon considérable et Gagarine pèse alors 8 à 10 fois son poids. À 7 km d’altitude, il est éjecté et revient donc sur Terre en parachute. Un détail que l’Union Soviétique considérera longtemps secret d’état ! La raison ? Les responsables du programme craignent que ce retour à l’aide d’un siège éjectable ne soit interprété comme une défaillance du vaisseau. Pourtant, il s’agit bien de la procédure normale, car, même si la capsule Vostok redescend elle aussi sous parachute, les ingénieurs estiment qu’elle arrive encore trop vite au sol et ont du coup eu recours à l’éjection. Le vaisseau puis Gagarine touchent terre à 10 minutes d’intervalle après 1 heure et 48 minutes de vol.

Pour rendre hommage au cinquantenaire du premier vol habité, Roscosmos (l’agence spatiale russe) a officiellement baptisé le vaisseau Soyouz TMA-21 qui doit décoller vers la Station ce 4 avril du nom de Gagarine. L’emblème du vol évoque même la forme du vaisseau Vostok. Crédit : Roscosmos/Marie Ange Sanguy/Enjoy Space

 

 

Une nouvelle ère

Arrivé au sein d’un champ de la région de Saratov (à 700 km au sud-est de Moscou), le premier cosmonaute doit tout d’abord rassurer une paysanne et sa fille, passablement surprises par cet étrange individu vêtu d’une combinaison orange (une couleur choisie pour favoriser son repérage). Dès lors, une nouvelle ère s’ouvre, le retour sain et sauf de Gagarine démontrant que l’homme peut aller dans l’espace.
Moscou profitera de cet indéniable succès pour souligner la supériorité de la société soviétique sur le capitalisme américain. Il est vrai que les États-Unis sont en retard. Le 5 mai suivant (donc moins d’un mois après), ils envoient eux aussi certes un homme dans l’espace (Alan Shepard), mais il s’agit d’un vol suborbital sans mise sur orbite. Il faudra attendre février 1962 pour que John Glenn accomplisse enfin plusieurs tours de Terre.
Youri Gagarine, lui, devient un véritable symbole vivant, ce qu’il ne vit pas forcément avec enthousiasme puisque les politiciens lui interdisent toute nouvelle aventure spatiale tant il est précieux pour la propagande. Le coup est rude pour le jeune homme qui rêve, comme son mentor Korolev, d’exploration habitée de la Lune et de Mars. Hélas, le génie de la fusée Soyouz, de Spoutnik ou encore du Vostok décède lors d’une opération en 1966. Commandant adjoint de la Cité des Étoiles, le centre d’entraînement des cosmonautes, Youri Gagarine obtient même un diplôme d’ingénieur en 1968. La même année, il arrache au système le droit de voler… pas dans l’espace cependant. Il suit donc des cours sur des avions de chasse. Le 27 mars 1968, son Mig-15 s’écrase alors qu’il était accompagné d’un instructeur chevronné. On pense que l’appareil des deux hommes a été déséquilibré par le sillage d’un autre avion qui n’avait pas respecté les plans de vol.
Destin tragique, certes, mais aussi destin fabuleux, d’un jeune homme qui à 27 ans a ouvert le chemin des étoiles. Cinquante ans plus tard, cette aventure née de l’affrontement de deux superpuissances se continue sous le signe de la coopération avec notamment la Station Spatiale Internationale qui réunit les ennemis d’hier.

Le 12 avril, la Cité de l’espace de Toulouse célébrera le cinquantenaire du vol de Youri Gagarine avec une journée spéciale de 14 à 23 h. Cliquez sur l’image pour accéder au programme sur Facebook. Crédit : Cité de l’espace

Publié le 1er avril 2011