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Ariane célèbre 40 années d’indépendance européenne

Publié le 24 décembre 2019

Voici 40 ans, le 24 décembre 1979, le premier lanceur de la famille Ariane offrait un vol inaugural réussi à l’Europe ainsi qu’une indépendance pour l’accès à l’espace. Un projet qui à l’époque a eu du mal à convaincre !

Ariane célèbre 40 années d’indépendance européenne

Au début des années 1970, l’Europe spatiale naissante est en crise. Son programme de lanceur Europa, basé sur un premier étage issu d’un missile britannique, enchaîne les échecs. La France, forte de son statut de troisième puissance spatiale (grâce à sa fusée Diamant qui plaça sur orbite le satellite Astérix en 1965), propose alors un lanceur de troisième génération de substitution ou L3S.

Un lanceur de substitution

Si le terme n’est pas poétique, il traduit la nécessité de sortir de l’échec du lanceur Europa afin de donner à l’Europe une indépendance pour l’accès à l’espace. Mais les négociations avec l’Allemagne qui travaille sur le module Spacelab destiné à être emporté par la future navette américaine et le Royaume-Uni s’avèrent des plus délicates. Pour obtenir un accord, la France s’engage à prendre en charge 60 % des sommes nécessaires et à couvrir les dépassements budgétaires. En contrepartie, la maîtrise d’oeuvre revient à son agence spatiale, le CNES, tandis que les industriels français récupèrent une part importante des contrats. Cette logique est entérinée en 1973 à Bruxelles par les pays partenaires européens. Le ministre français du Développement industriel et scientifique Jean Charbonnel propose alors d’abandonner la dénomination technique L3S au profit du plus poétique Ariane, référence au fil d’Ariane qui dans la mythologie grecque (dont le ministre est un fin connaisseur) permit à Thésée de sortir du labyrinthe du Minotaure comme la future fusée devait sortir le programme de lanceur européen de l’impasse…

Le lanceur Europa. L’échec de ce programme poussa la France à proposer un «lanceur de substitution» qui deviendra Ariane. Crédit : ESA

Le lanceur Europa. L’échec de ce programme poussa la France à proposer un «lanceur de substitution» qui deviendra Ariane.
Crédit : ESA

La souveraineté à la rescousse

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le projet Ariane ne croula pas sous les encouragements ! Certes, la création en 1975 de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) fédère un peu plus la volonté spatiale de l’Europe, mais les divergences subsistent et le soutien politique semble plus d’une fois hésitant. Les Américains de surcroît ne comprennent pas l’entêtement du «Vieux Continent» à mettre au point une technologie de lancement qu’ils estiment condamnée à court terme. N’oublions pas qu’à l’époque la NASA prépare sa navette et qu’elle promet une baisse spectaculaire du prix du kilo envoyé sur orbite. À n’en pas douter, dans un avenir proche, ce futur «camion spatial» assurera l’essentiel des mises à poste de satellites commerciaux, signant la fin des lanceurs traditionnels.

Ariane, tel qu’il fut présenté en 1973 sous l’appellation lanceur de troisième génération de substitution. Au final, le lanceur qui décolla le 24 décembre 1979 comprenait 3 étages pour une hauteur de 47,4 mètres. Il pouvait placer un peu plus d’une tonne sur orbite de transfert géostationnaire. Cette capacité passera à 1,8 tonne au cours de son exploitation. Crédit : ESA

Ariane, tel qu’il fut présenté en 1973 sous l’appellation lanceur de troisième génération de substitution. Au final, le lanceur qui décolla le 24 décembre 1979 comprenait 3 étages pour une hauteur de 47,4 mètres. Il pouvait placer un peu plus d’une tonne sur orbite de transfert géostationnaire. Cette capacité passera à 1,8 tonne au cours de son exploitation. Crédit : ESA

Les politiciens, y compris français, doutent encore plus et certains observateurs prédisent un énorme fiasco technologique et financier. Toutefois, l’Amérique va d’elle-même donner la meilleure raison pour continuer Ariane : la souveraineté. En effet, bloqué par l’échec du lanceur Europa, l’Europe doit se tourner vers les États-Unis pour placer sur orbite un satellite de télécommunications ambitieux baptisé Symphonie. Outre-Atlantique on accepte, non sans une condition lourde de conséquences : l’interdiction de toute utilisation commerciale ! L’Europe s’aperçoit alors qu’un lanceur est aussi un vecteur de souveraineté, car, sans lui, les États européens sont à la merci du bon vouloir des pays qui détiennent l’accès à l’espace.

Le lanceur Ariane 1 sur son site d'envol ELA 1 (Ensemble de Lancement Ariane n°1) du Centre Spatial Guyanais (CSG). Crédit : CNES/ESA

Le lanceur Ariane 1 sur son site d’envol ELA 1 (Ensemble de Lancement Ariane n°1) du Centre Spatial Guyanais (CSG).
Crédit : CNES/ESA

Ariane pris au sérieux

Yves Sillard, ancien directeur général du CNES, rappelle dans des interviews vidéos  publiées sur le site de l’agence spatiale combien il fut difficile pour le programme Ariane d’être pris au sérieux. Pour beaucoup il ne s’agissait que de faire un «lanceur de dissuasion» en vue de forcer les Américains à assouplir leurs conditions. Yves Sillard souligne ainsi que, chaque année, le ministère français du budget voulait stopper Ariane… Carrément !
Toutefois, en 1979, il reçoit de la part du gouvernement français de vives critiques, car les mesures de sécurité au Centre Spatial Guyanais sont estimées insuffisantes : les politiques craignent en effet un sabotage ! En fait, Yves Sillard accueille les remontrances avec joie puisqu’elles montrent que le pouvoir soutient enfin concrètement Ariane en lui consacrant plus d’argent pour la préserver de menaces extérieures éventuelles. Après tout, on ne protège que les choses auxquelles on tient vraiment…

L’équipe de la première campagne de lancement d’une Ariane pose devant la fusée sur le pas de tir du Centre Spatial Guyanais. Crédit : CNES/ESA

L’équipe de la première campagne de lancement d’une Ariane pose devant la fusée sur le pas de tir du Centre Spatial Guyanais.
Crédit : CNES/ESA

Le cadeau de Noël à l’Europe

Le 15 décembre 1979, après 7 ans de travail acharné, la première tentative de décollage d’une Ariane échoue. Un capteur détecte une mauvaise poussée et l’électronique coupe aussitôt les 4 moteurs du premier étage. Fort heureusement, la fusée reste sur son pas de tir, intacte. En réalité, c’est le capteur qui est défaillant. La presse ne manque pas de se moquer du raté.

24 décembre 1979, 14h14 heure locale de Guyane : le premier lanceur Ariane s’envole après avoir surmonté l’incrédulité générale.
Crédit : ESA/CNES

24 décembre 1979, 14h14 heure locale de Guyane : le premier lanceur Ariane s’envole après avoir surmonté l’incrédulité générale.
Crédit : ESA/CNES

Le 24 décembre, Ariane s’envole enfin à 14h14, heure locale de Guyane et se transforme en véritable cadeau de Noël pour l’Europe. Certes aucun satellite n’est placé sur orbite, mais la «capsule technologique» emportée, complétée de lest, cumule les mesures et montre que le lanceur a fonctionné comme prévu.

Albert Vienne (à gauche), directeur du Centre Spatial Guyanais, salue Ariane Girouard, née à Kourou peu après le lancement du 24 décembre 1979 et baptisée bien évidemment en hommage à la fusée européenne. Crédit : ESA

Albert Vienne (à gauche), directeur du Centre Spatial Guyanais, salue Ariane Girouard, née à Kourou peu après le lancement du 24 décembre 1979 et baptisée bien évidemment en hommage à la fusée européenne.
Crédit : ESA

La route sera cependant longue, car le deuxième vol d’Ariane 1 se solda par un échec et les oppositions au programme retrouvèrent de la vigueur. Mais, patiemment, le lanceur Ariane construisit sa fiabilité, évolua jusqu’à l’Ariane 5 actuel et devint un acteur majeur du marché des lancements ouverts à la concurrence via la société Arianespace chargée de sa commercialisation. Presque 4 décennies plus tard, le 26 novembre 2019, Ariane 5 marqua même le 250ème vol d’un lanceur Ariane toutes versions confondues de la 1 à la 5, symbole d’une continuité dans la volonté de donner à l’Europe un outil concret de souveraineté pour l’accès à l’espace qui se double d’un acteur fort sur le marché des lancements. Ariane 6 doit prochainement reprendre le flambeau en apportant les adaptations nécessaires pour répondre à l’évolution des demandes, notamment tarifaires, et la transformation d’un marché bousculé par l’arrivée de nouveaux acteurs comme SpaceX.

La vidéo ci-dessous souligne le lien entre le premier vol d’Ariane le 250ème presque 40 ans plus tard en mélangeant images et sons des deux vols (vidéo CNES).