Partager
- Exploration
- Histoire
Il y a 15 ans, l’Europe se posait sur Titan
Publié le 14 janvier 2020
Le 14 janvier 2005 le module Huygens de l’Agence Spatiale Européenne arrivait à la surface de Titan, la plus grande lune de Saturne. L’Europe signait le premier atterrissage sur ce mode lointain et aussi le plus loin de la Terre.
Le 15 octobre 1997, la mission Cassini-Huygens décolle de Floride. Elle associe la NASA, l’ESA (Agence Spatiale Européenne) et l’agence spatiale italienne (ASI). Sous la coiffe du lanceur Titan IV-Centaur on trouve la sonde Cassini de presque 6 tonnes à laquelle est accroché le module européen Huygens de 320 kg. L’objectif ? La géante aux anneaux, Saturne, et ses intrigantes lunes dont la plus grande, Titan (5 150 km de diamètre).
L’Europe à la rescousse de Cassini-Huygens
La mission Cassini-Huygens sera la première à envoyer une sonde (Cassini) orbiter autour de Saturne. Rappelons que les sondes Pioneer 10 et 11 en 1972 et 1973, puis Voyager 1 et 2 en 1977, n’avaient accompli que des survols. Ce n’est pas tout, car il y a aussi l’audacieuse idée de poser un engin (Huygens) sur la lune Titan, le seul satellite naturel du Système solaire doté d’une atmosphère. Aux États-Unis, la complexité de la sonde Cassini conçue par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA entraîne des dépassements budgétaires au point que le Congrès envisage d’annuler cette dépense en 1994. Le problème est que le module Huygens, véritable défi technologique (il s’agit d’arriver sur un monde dont on ne sait presque rien !), ne peut pas aller seul vers Saturne puisqu’il est le passager de Cassini.
Si la mission Cassini-Huygens est annulée côté américain, les efforts européens risquent d’être menés en vain… Le français Jean-Marie Luton, alors à la tête de l’ESA, écrit au vice-président des États-Unis Al Gore pour lui signifier que l’arrêt unilatéral de Cassini-Huygens remettrait «en question la fiabilité des États-Unis comme partenaire pour toute future coopération scientifique et technologique majeure». Ce coup de poing sur la table diplomatique porte ses fruits et la mission peut continuer.
L’atterrissage le plus lointain
Après 7 ans de voyage, le duo Cassini-Huygens arrive dans le système saturnien et la sonde opère son insertion sur orbite le 1er juillet 2004. Pour la première fois, la géante gazeuse accueille un satellite artificiel. Le 25 décembre de la même année, Cassini largue le module Huygens, avec une exactitude remarquable, sur la trajectoire qui l’amènera à se poser sur Titan. Une précision indispensable, car le module européen ne dispose d’aucune propulsion propre.
Le 14 janvier, Huygens entre dans l’épaisse et froide atmosphère de Titan. La vitesse l’échauffe, mais il est protégé par un bouclier qui est largué alors qu’est déployé un unique parachute. La descente vers la surface dure 2 heures et demie pendant lesquelles l’atterrisseur de l’ESA engrange des données qu’il transmet par ondes radio à Cassini qui les enregistre afin de les renvoyer peu après vers notre planète. Huygens est en effet trop petit pour héberger un émetteur suffisamment puissant pour établir une liaison directe avec la Terre. Il faut aussi envoyer les clichés et mesures obtenues au fur et à mesure, car il s’agit là d’un saut dans l’inconnu et on ne sait pas à quel moment un imprévu peut mettre fin à la mission.
Pourtant, le vaillant Huygens ira jusqu’au bout en se posant intact, envoyant une image qui reste encore à ce jour le symbole de l’atterrissage le plus loin de la Terre jamais tenté… et réussi ! Il fonctionna même un peu au sol puis s’arrêta définitivement alors que Cassini ne l’écoutait plus, ce qui était prévu.
Avec la vidéo ci-dessous, revivez en quelques minutes l’historique descente de Huygens vers Titan. Elle intègre les images récoltées par l’atterrisseur pour vous montrer une perspective qui serait celle d’un passager regardant vers le bas.
La vidéo se conclut par le cliché latéral pris au sol avec sur la gauche une perspective équivalente sur la Lune à titre d’échelle. Dans le cadre en haut à droite, jetez un œil sur les données (de haut en bas : l’altitude du module, sa vitesse, la vitesse du vent, la pression de l’air, la température de l’air puis celles des optiques et du capteur CCD).
Huygens : un record à égaler en 2034
Grâce aux données uniques de Huygens, les planétologues dressent le portrait d’un monde dont le sol est gelé (-180 °C en moyenne à la surface) avec des reliefs creusés par des pluies de méthane liquide qui remplissent de vastes lacs. En fait, sur Titan, le méthane et l’éthane connaissent un cycle comparable à celui de l’eau sur notre planète. Cette lune héberge aussi une chimie complexe et son atmosphère (pression de 1,4 bar au sol soit 1,4 fois celle qui règne au niveau de la mer chez nous) contient des molécules organiques complexes proches de celles qu’on pense être à l’origine de la vie sur Terre. Réussite incontestable de l’ESA, Huygens a confirmé que la plus grande lune de Saturne s’impose comme une destination scientifique de choix, notamment pour comprendre les mécanismes liés au vivant. C’est pourquoi la NASA a sélectionné le projet de mission Dragonfly de l’Applied Physics Laboratory de la Johns Hopkins University. Ci-dessous, une vidéo de présentation.
Il s’agit d’un drone de 450 kg doté de 4 paires de rotors qui sera capable de se déplacer par les airs. Le but est d’étudier avec des instruments embarqués plusieurs zones de la surface de Titan. Le décollage est prévu pour 2026 avec une arrivée en 2034. Le record de Huygens serait alors égalé… 29 ans plus tard !