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Comprendre la première image d’un trou noir

Publié le 12 avril 2019

En associant les données récoltées par 8 radiotélescopes répartis sur notre planète, une équipe de plus de 200 chercheurs appelée EHT (Event Horizon Telescope) a obtenu la première image d’un trou noir.

Comprendre la première image d’un trou noir

Les trous noirs sont des objets fascinants. Pour les décrire de façon simple, on dira que ce sont des astres tellement massifs et compacts que même la lumière ne peut échapper à leur intense champ gravitationnel. Se pose alors le défi de leur observation puisque par principe aucun rayonnement trahissant leur présence ne peut nous parvenir… Sauf qu’il y a un moyen ! Et c’est ce moyen qu’ont utilisé les chercheurs de plusieurs pays réunis au sein de l’organisme Event Horizon Telescope (EHT).

Voir un trou noir… ou presque !

 Si le trou noir en lui-même n’est pas observable par définition, en revanche ce qui se passe autour de lui l’est. En effet, la lumière (ou tout autre rayonnement) n’est définitivement piégée par le trou noir qu’à partir d’une certaine distance de l’objet appelée horizon des événements, et cette distance dépend de sa masse. Imaginons un trou noir de la masse de notre Soleil. Il serait considérablement plus petit que notre étoile pour obtenir la densité nécessaire (en fait, un trou noir doit faire au moins 3 masses solaires, mais passons pour continuer notre exemple). Surtout, l’horizon serait une sphère de 6 km de diamètre. En dehors de cette sphère, la lumière peut encore s’échapper, mais à l’intérieur, le piège est total. Plus le trou noir est massif, et plus cette sphère est grande.
Lorsqu’un trou noir attire de la matière (essentiellement du gaz), elle spirale autour de lui dans un disque d’accrétion. Étant donné les forces gravitationnelles à l’œuvre, les températures y sont excessivement élevées et des rayonnements (radio, X ou gamma) sont émis. Les rayonnements situés en dehors de l’horizon du trou noir ne sont pas piégés et s’échappent : on peut les observer ! Pour obtenir la première image d’un trou noir, les scientifiques de l’ Event Horizon Telescope ont donc en fait cherché à observer avec une résolution inédite ce disque d’accrétion. On peut toutefois dire qu’en quelque sorte on voit le trou noir car l’aspect de ce disque dépend directement du monstre vorace et de ce que la relativité d’Einstein prévoit comme conséquences. D’ailleurs, le membre du Conseil de l’EHT Luciano Rezzolla de l’Université Goethe en Allemagne souligne que «l’image obtenue concorde parfaitement avec notre compréhension théorique, ce qui renforce la validité de l’interprétation de nos observations, y compris notre estimation de la masse du trou noir». L’objet visé est un trou noir supermassif 6,4 milliards de fois plus massif que notre Soleil et situé au cœur de la galaxie M87 à 55 millions d’années-lumière de nous. Ci-dessous, la célèbre «photo».

Le trou noir supermassif de la galaxie M87. Une image obtenue en combinant les données de 8 radiotélescopes. Crédit : EHT Collaboration

Le trou noir supermassif de la galaxie M87. Une image obtenue en combinant les données de 8 radiotélescopes.
Crédit : EHT Collaboration

Ce que nous avons là n’est pas une photographie au sens classique du terme. C’est l’interprétation visuelle de données radio (domaine submillimétrique) obtenues avec plusieurs radiotélescopes dont on a combiné les données via un processus rigoureux de calcul. Tout d’abord, les astronomes ont sélectionné le trou noir supermassif de M87 en raison de sa taille. Même à 55 millions d’années-lumière, il est suffisamment grand pour être résolu par des radiotélescopes… à condition qu’ils soient éloignés entre eux de plusieurs centaines à milliers de kilomètres. Pourquoi ? Car en combinant leurs données, c’est comme si on disposait d’un radiotélescope aussi grand que la distance qui les sépare ! C’est la technique de l’interférométrie. Le principe est simple en apparence, mais compliqué sur le plan technique. Les observations ont été coordonnées sur plusieurs jours en avril 2017 (oui, il y a 2 ans) et enregistrées sur des disques durs avec une capacité de 64 gigabits par seconde ! Le tout a dû être synchronisé avec précision par des horloges atomiques.

En tout, 8 radiotélescopes ont été mobilisés, répartis en Amérique, en Europe et même un au pôle Sud : ALMA, APEX, le NOEMA de l’IRAM, le Télescope James Clerk Maxwell (JCMT), le Vaste Télescope Millimétrique Alfonso Serrano (LMT), le Réseau Submillimetrique (SMA), le Télescope Submillimétrique (SMT), et le Télescope du Pôle Sud (SPT). La carte ci-dessous montre leur emplacement. D’autres observatoires qui n’ont pas participé à cette campagne pour imager le trou noir de M87 sont notés.

Sur cette carte, les observatoires ayant participé à la première image d’un trou noir sont : ALMA, APEX, NOEMA, JCMT, LMT, SMA, SMT et SPT. En combinant leurs données, on obtient un radiotélescope géant ! Crédit : ESO

Sur cette carte, les observatoires ayant participé à la première image d’un trou noir sont : ALMA, APEX, NOEMA, JCMT, LMT, SMA, SMT et SPT. En combinant leurs données, on obtient un radiotélescope géant !
Crédit : ESO

L’image du trou noir qui a fait le tour de la planète a demandé 2 ans de travail avec des supercalculateurs situés à l’Institut Max Planck de Radioastronomie en Allemagne et à l’Observatoire Haystack du MIT aux États-Unis.
L’anneau orange qu’on voit est donc le disque d’accrétion et son aspect correspond aux modèles théoriques. La relativité d’Einstein connaît ici une spectaculaire confirmation. Au centre, on note ce cercle noir qui n’est pas le trou noir lui-même, mais son ombre. Elle est environ 2,5 fois plus grande que l’horizon et résulte du fait que la gravitation extrême de l’objet déforme le trajet de la lumière. Heino Falcke de l’Université Radboud aux Pays-Bas et président du Conseil Scientifique de l’EHT précise que «cette ombre, causée par la courbure gravitationnelle et la capture de la lumière par l’horizon des événements, en dit long sur la nature de ces objets fascinants et nous a permis de déterminer l’énorme masse du trou noir de M87». Pour rappel, cette masse est de 6,4 milliards de fois celle de notre Soleil. Pour avoir une idée de la taille de l’ombre, sachez que notre Système solaire rentre dedans : l’orbite de Pluton est à peu près à la moitié entre le centre et son bord !

Pour mieux comprendre ce qu’on voit, nous vous proposons cette vidéo très instructive de la chaîne Veritasium. Elle est en anglais, mais vous pouvez sélectionner un sous-titrage en français.

L’hôte de cette chaîne de vulgarisation a expliqué les principes pour le trou noir de M87 et celui de notre propre galaxie, Sagittarius A*. Cependant, soulignons que l’image présentée le 10 avril était celle de M87. L’organisation Event Horizon Telescope compte réitérer ses observations pour parvenir à imager le trou noir supermassif de la Voie Lactée.
Cette première image d’un trou noir marque un succès technique, mais aussi montre tout ce que peut apporter la coopération internationale en matière de science. Cette observation n’aurait pas été possible sans combiner des radiotélescopes et moyens techniques de plusieurs pays. Côté européen l’European Southern Observatory (ESO) a joué un rôle majeur avec le soutien du Conseil Européen de la Recherche, un organe de l’Union européenne.

Parmi les radiotélescopes utilisés, il y a l’ALMA, une soixantaine d’antennes perchées à 5.100 m d’altitude dans le désert de l’Atacama au Chili. En 2013, la Cité de l’espace avait visité ALMA et aussi le VLT. Ci-dessous, les vidéos réalisés à cette occasion.

Pour être complet en matière de coopération, voici la liste des instituts impliqués dans l’Event Horizon Telescope : l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’Academia Sinica, l’Université d’Arizona, l’Université de Chicago, l’Observatoire de l’Asie de l’est, l’Université Goethe de Francfort, l’Institut de Radioastronomie Millimétrique, le Vaste Télescope Millimétrique, l’Institut Max Planck dédié à la Radioastronomie, l’Observatoire Haystack du MIT, l’Observatoire Astronomique National du Japon, l’Institut Perimeter de Physique Théorique, l’Université Radboud et l’Observatoire Astrophysique Smithson.

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