La Lune, future colonie humaine ?

Toutes les nations spatiales rêvent de poser à nouveau un pied sur la Lune, cette fois durablement, et de construire des bases à partir desquelles les astronautes pourraient explorer et analyser en profondeur les cratères lunaires. En partenariat avec la Cité de l'espace, l'heure du Monde, le podcast du journal le Monde, a consacré un épisode à la course à la Lune.

Écouter le podcast Durée: 22:45

Pourquoi tout le monde veut retourner sur la Lune ? Cinquante ans après le programme Apollo, les Etats Unis tentent de reconquérir notre satellite avec l’aide de l’Europe pour, cette fois-ci, y installer des bases durables. La Russie tente, elle aussi, de renouer avec son glorieux passé d’exploration spatiale. Et de nouveaux acteurs entrent dans le jeu de la conquête lunaire comme la Chine, l’Inde ou encore le Japon. Mais alors qu’espère-t-on vraiment trouver sur la Lune ? Quelles richesses inexplorées y sommeillent et pourra-t-on vraiment un jour y installer des bases habitables pour des humains ? Jean Guillaume Santi reçoit Pierre Barthélémy journaliste scientifique au Monde. Garance Muñoz signe de son côté un reportage réalisé au LuneXplorer de la Cité de l’espace.

Le second essai du Starship de Space X, le 18 novembre 2023.

@SpaceX

De nouveaux acteurs

De plus en plus de pays ont un programme spatial

Depuis les dernières missions lunaires, le marché de l’espace a beaucoup évolué. Tout d’abord il s’est ouvert à de nombreux pays, on a des fusées indiennes, des fusées japonaises, chinoises, des astronautes européens… Par ailleurs, le marché de l’espace qui était, à l’époque d’Apollo, le privilège des Etats, est, aujourd’hui, dans une phase accélérée de privatisation. Cela permet à presque n’importe qui d’envoyer quelque chose dans l’espace à partir du moment où il a l’argent pour le faire.

Le privé a réduit le prix de l’accès à l’espace

Les coûts d’accès à l’espace sont considérablement réduits, notamment grâce à SpaceX, la société d’Elon Musk. Ils ont permis de réduire de 50% environ le prix du kilo en orbite, grâce à ses fusées Falcon 9 qui sont des lanceurs réutilisables. Avant, toutes les fusées ne servaient qu’une seule fois, elles étaient détruites après leur lancement. Ça permet à plein de pays de se lancer, même à leur petite échelle. Les Emirats Arabes Unis, par exemple, ont un engin en orbite autour de Mars.

La Lune, un enjeu politique

Participer à la course à la Lune permet à de nombreux pays de démontrer leur puissance

En ce qui concerne la Lune, il y a d’abord un côté symbolique. Aller sur la Lune c’est montrer qu’on en est capable, qu’on est un pays technologiquement avancé et qu’on a la puissance nécessaire pour réaliser ce genre d’exploit. C’est une démonstration de force comme en période de guerre froide. Ça motivait les Etats Unis et l’Union soviétique il y a soixante ans. Aujourd’hui, ça motive des pays comme la Chine ou l’Inde.

La Chine et l’Inde avancent vite

La Chine a mis sur pied il y a plusieurs années un programme lunaire ambitieux qui consiste à reproduire tout ce que les Américains et les Soviétiques ont fait dans les années 60 et 70. Ils se sont mis en orbite, ils ont posé des rovers, ils ont fait un retour d’échantillons. Tout ça a marché du premier coup, ce qui est assez remarquable. Leur objectif à moyen terme, d’ici à la fin de la décennie, c’est de réussir à poser des astronautes sur la Lune. Les Indiens sont moins avancés, mais ils ont réussi à se poser sur la Lune cette année, ce qui n’est pas donné à tout le monde. L’Europe ne l’a jamais fait. C’est un exploit dont s’est félicité le Premier ministre indien Narendra Modī.

En août 2023, l’Inde est devenu le 4e pays à réussir à se poser sur la Lune avec la mission Chandrayaan-3.

@ISRO

Lors des missions Apollo, les astronautes ne restaient sur le sol lunaire que quelques heures.

@NASA

S’entraîner avant Mars

L’objectif est aussi de tester des technologies qui pourront servir à aller sur Mars

En plus de cet aspect politique et géostratégique, il y a des raisons scientifiques. Avec Apollo, on a passé très peu de temps sur la Lune. C’étaient des missions très courtes. On a exploré que peu d’endroits en réalité. Les chercheurs estiment qu’on a pu analyser que 4% de la diversité géologique de la Lune ce qui n’est pas beaucoup. En revanche, il y a énormément de terrains dont on n’a pas d’échantillons. Il reste beaucoup de choses à découvrir sur ce plan. Et puis, la Lune est un entraînement parfait pour aller sur Mars. Le voyage habité sur Mars, ça devrait être la grande aventure de la deuxième moitié du 21e siècle, mais c’est très compliqué. Pour le moment, on n’est pas techniquement en mesure de se lancer dans cette aventure. C’est dangereux pour les humains qui s’y lanceront. D’où la nécessité de se préparer méticuleusement et très longuement.

S’habituer aux contraintes de Mars

Des délais dans la transmission des communications

La distance entre la Terre et Mars évolue en fonction des orbites. Mais si un jour on va sur Mars, il pourra y avoir jusqu’à 20mn de délai de communication avec la Terre. Il pourra donc s’écouler 40mn entre le moment où on posera une question et le moment où on aura la réponse. Sur la Lune ce décalage ne sera que de deux ou trois secondes. C’est déjà quelque chose qu’il faut gérer. Ça met dans la tête des gens qu’il faut apprendre à gérer la distance entre la Terre et la Lune, et puis plus tard entre la Terre et Mars.

Pas de retour en urgence possible

Par ailleurs, si jamais il y a une urgence, les astronautes sur la Lune ne pourront pas, comme c’est le cas avec la Station spatiale internationale, se précipiter dans un vaisseau de secours et revenir sur Terre en quelques heures. Cela devrait prendre plusieurs jours et les astronautes devront apprendre à se débrouiller sur place. Il y a tout une liste de prérequis pour aller sur Mars. Donc, c’est un long apprentissage. Il vaut mieux le faire sur la Lune, qui est dans la banlieue de la Terre, plutôt que de tout découvrir une fois qu’on arrivera sur Mars.

Exploiter les ressources de la Lune

Des terrains encore inconnus

On ne s’est rendu que sur les surfaces bien planes de la Lune. Des terrains où il y a eu de grandes coulées de lave. C’étaient des surfaces où il était facile de se poser. Les missions Apollo visaient surtout les zones équatoriales et la face visible de la Lune. Les humains ne sont jamais allés sur les zones montagneuses ou sur la face cachée, qui est très différente de la face visible. Ils ne sont jamais allés non plus dans les régions polaires. Sur le plan géologique, il y a beaucoup de choses à découvrir. Pour ce qui est de l’exploitation des minéraux, qui ne sont pas très différents de ce qu’on trouve facilement sur Terre, il n’y a pas un grand intérêt à les extraire de la Lune, ça coûterait extrêmement cher.

L’hélium 3 suscite les convoitises

Il y a malgré tout quelque chose qui suscite les fantasmes. Il s’agit de l’Hélium 3 qui est produit par le Soleil et qui se dépose à la surface de la Lune parce qu’elle n’a pas d’atmosphère. Ce pourrait être une ressource pour faire de la fusion nucléaire. Mais ça reste de l’ordre de la science fiction puisqu’on est actuellement incapable de récupérer le moindre gramme d’hélium ou même de faire une réaction de fusion nucléaire civile contrôlée. Le but ce n’est donc pas d’exploiter les ressources minérales de la Lune, mais d’apprendre à s’y installer.

Cette image prise par Apollo 16 montre la face cachée de la Lune sur laquelle l’Homme n’a jamais posé le pied.

@NASA

Le programme Artemis prévoit l’assemblage d’une station en orbite autour de la Lune, le Gateway qui servira de base avant d’aller explorer notre satellite.

@NASA

Comment mener des missions plus longues ?

Apprendre à vivre sur un autre astre que la Terre

On veut suivre la même histoire que ce qui’il s’est passé lors de l’exploration de l’Antarctique et du Pôle sud. Au début, on y allait juste le temps de mener une exploration. On faisait des raids rapides et on rentrait très vite. Et puis, on a appris à faire hiverner les scientifiques. On a construit des bases pérennes.

Base en orbite ou base au sol

La première option est celle que veulent mettre en œuvre les Américains avec leurs partenaires, notamment européens. C’est d’avoir une base en orbite autour de la Lune. C’est ce qu’on appelle le Gateway: le portail lunaire. L’idée c’est que cette station soit une sorte de base pour les astronautes, qui pourraient ensuite descendre de temps en temps pour se poser sur la Lune et y faire de l’exploration. La construction des différents éléments de cette station spatiale est déjà en cours. Leur envoi dans l’espace se fera progressivement dans les prochaines années. C’est une solution assez facile parce que des stations spatiales, on sait faire. La seconde possibilité serait de construire une base à la surface même de la Lune. C’est ce qu’espèrent faire les Chinois et les Russes. Mais c’est un projet plus lourd et qui pose de nombreux problèmes techniques, ne serait-ce que celui des matériaux de construction.

Comment survivre sur ce monde hostile ?

Les astronautes vont être confrontés à de nombreux dangers qu’il faut anticiper

Se protéger du vent solaire

La première question est celle de la protection physique des astronautes. Déjà pour y aller, il faut fabriquer des vaisseaux sûrs. On n’acceptera pas de faire prendre aux humains les mêmes risques que lors des missions Apollo. Une fois sur la Lune, il faudra les protéger des dangers qui y résident. La Lune est un endroit dangereux. Contrairement à la Terre, où le champ magnétique et l’atmosphère nous protègent des particules énergétiques qui arrivent de l’espace, on n’a pas du tout cette protection sur la Lune. Il n’y a ni atmosphère ni champ magnétique. Entre les deux dernières missions Apollo, en 1972, il y a eu une éruption solaire assez importante qui a envoyé tout un flot de particules dans l’espace. Si jamais il y avait eu une mission sur la Lune à ce moment-là, les astronautes auraient reçu de telles doses de rayonnement qu’ils en seraient morts. Peut-être pas sur le moment même, mais en rentrant. Il faut que les vaisseaux, que les habitats, si on fait des séjours de longue durée, soient capables de bloquer ces rayonnements. Dans le cas des bases au sol, ça implique vraisemblablement d’enterrer l’habitat.

Le régolithe, une poussière abrasive

Un autre problème pour la santé, c’est le régolithe lunaire. C’est une poussière très fine, un peu comme de la farine qui tapisse le sol de la Lune. On a pu constater lors des missions Apollo que le régolithe s’incruste partout. Même si les grains sont minuscules, ils sont très abrasifs et donc très mauvais pour les poumons. Il faudra se débrouiller pour ne pas faire entrer le régolithe dans les vaisseaux et dans l’habitat.

A quoi pourraient ressembler les habitats humains sur la Lune ?

Utiliser les ressources sur place

En ce qui concerne l’exploration, il faudra des engins capables de parcourir, en toute sécurité, de longues distances. Des engins pressurisés dans lesquels les astronautes pourraient retirer leurs casques. Il faudra des bâtiments pour se loger et, comme on ne va pas apporter de béton ou de briques sur la Lune, il va falloir apprendre à utiliser les matériaux présents sur place. On pourrait faire de l’impression 3d avec le régolithe. Il y a aussi l’idée de vitrifier le régolithe pour faire des voies de communication dans la future base.

L’eau des cratères

Les trois éléments les plus importants pour la survie, c’est l’oxygène pour respirer, l’eau pour boire et la nourriture pour manger. On peut exploiter l’eau, qui est présente sur la Lune et on peut s’en servir directement, en la buvant ou en arrosant des plantes qu’on fera pousser. Mais on peut aussi casser la molécule d’eau pour en extraire de l’oxygène et de l’hydrogène. L’hydrogène et l’oxygène pourraient servir de carburant pour les fusées de retour. L’oxygène pourrait, évidemment, servir pour respirer. Mais pour faire tout ça, il faudra de l’énergie. Il y a les panneaux solaires, bien sûr, mais aussi, très probablement, des petites centrales nucléaires adaptées.

Le projet Eurohab développé par l’entreprise Spartan Space prévoit d’envoyer des structures gonflables déployables à des points stratégiques de l’exploration des astronautes.

@Spartan Space

Boire et manger sur la Lune

Pour la nourriture, ce serait trop cher de tout apporter sur place. On apportera une partie sous forme lyophilisée, comme dans la Station spatiale internationale. Mais il faudra quand même apprendre à faire pousser des plantes sur la Lune, en s’assurant que la gravité, qui est différente, n’altère pas la croissance des végétaux. Et il faudra recycler un maximum de choses. Sur l’ISS on sait recycler l’eau des urines des astronautes, c’est un système très efficace.

Mais ça ne serait évidemment pas assez pour cultiver sur la Lune. L’un des gros enjeux c’est d’exploiter l’eau sur place. l’eau est présente dans le sol, sous forme de glace. On ne sait pas bien en quelle quantité, ni à quelle profondeur, ni comment l’exploiter précisément. Une des idées, c’est de faire vadrouiller des petits robots qui feraient évaporer la glace sous eux, qui pourraient collecter cette vapeur. C’est une des raisons pour lesquelles les Américains, comme les Chinois, veulent se poser vers le Pôle Sud, où va bientôt se dérouler une ruée vers l’eau.

Les treize régions présentés par la NASA, comme sites potentiels d’atterrissage pour les missions Artemis.

@NASA

Destination Pôle Sud

Le Pôle sud de la Lune présente de nombreux avantages

Contrairement à la Terre, où les pôles sont inhospitaliers, sur la Lune c’est l’inverse. La Lune tourne lentement sur elle-même. Une journée dure quatre de nos semaines. Dans les régions équatoriales où les missions Apollo se sont posées, le jour dure deux semaines et la nuit dure deux semaines. Cela provoque des différences extrêmes de températures avec une amplitude thermique de presque 300°C. Au Pôle sud de la Lune, en revanche, il y a des endroits qu’on appelle des pics de lumière éternelle, des sommets de montagne ou de cratères, où le soleil éclaire plus de 80 ou 90 % du temps. C’est dû au fait que, sur la Lune, il n’y a pas de nuits polaires parce qu’elle n’est quasiment pas inclinée sur son axe de rotation, contrairement à la Terre. Ces endroits, où il y a de la lumière presque tout le temps, sont assez rares. Ils vont être, forcément, très convoités. Toutes les puissances spatiales, qui sont de plus en plus nombreuses, vont s’y intéresser.

A qui appartiennent les ressources ?

Le Traité de l’espace interdit de s’approprier les ressources et les territoires

Le Traité de l’espace, qui date de 1967, a été signé à l’ONU. Il stipule que personne ne peut s’approprier les richesses de l’espace, ni les terrains des astres extra-terrestres. C’est considéré comme un bien de l’Humanité, un peu comme le prévoit le Traité de l’Antarctique. A priori on ne peut pas s’approprier les ressources de la Lune, mais ça fait plusieurs années que les Américains militent pour modifier cet aspect juridique de l’exploration spatiale. Ils ont mis en place en 2020, les accords Artemis, qu’une trentaine de pays ont signé. Ils prévoient, entre autres, qu’on pourra exploiter les ressources et qu’on pourra établir une zone de sécurité autour de chaque installation lunaire, ce qui revient à contourner le traité de 1967, puisqu’on va s’approprier des ressources et des territoires. Ce sera: premier arrivé, premier servi. Le Traité de l’espace a interdit de militariser l’espace et personne n’a remis en question cet aspect là des choses, jusqu’ici. Mais il est clair que vu la rareté des lieux qui sont propices à l’installation sur la Lune, vu la rareté possible de l’eau, le risque de tensions futures n’est pas exclu. Et il n’y a pas de shérif dans l’espace.