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Le CO2 de la grotte d’Altamira surveillé depuis l’espace.

Publié le 13 juin 2024

Des chercheurs ont modélisé l’atmosphère de la grotte d’Altamira en Espagne pour suivre l’évolution du CO2 susceptible d’abîmer les peintures rupestres. Ils redoutent une augmentation de la concentration en CO2 dans les prochaines années à cause du réchauffement climatique.

Le CO2 de la grotte d’Altamira surveillé depuis l’espace.

C’est un peu la chapelle Sixtine de l’ère Magdalénien. La grotte ornée d’Altamira, située en Espagne, à Santillana del Mar, au nord du pays, est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985. Comme de nombreuses grottes ornées, elle est menacée par la présence de CO2 dû au tourisme et aux conditions climatiques qui favorisent le développement de micro-organismes sur les peintures rupestres. Pour la première fois, une équipe franco-espagnole a établi un modèle mathématique qui s’appuie sur des données des satellites, dont SMOS. Ce modèle permet de suivre l’évolution de l’atmosphère de la grotte pour comprendre sa dynamique et envisager des scénarios futurs. 

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L’accès à la grotte est limité à cinq visiteurs seulement par semaine depuis 2014.

© CC BY-SA 3.0 igo – Thilo Parg

LA GROTTE D’ALTAMIRA, UN TRÉSOR MENACÉ

LA GROTTE ORNÉE, CLASSÉE AU PATRIMOINE MONDIAL DE L’UNESCO A DÛ FERMER SES PORTES AU PUBLIC À PLUSIEURS REPRISES

 

Ce n’est pas sa taille, de 270m de long à peine, qui fait la renommée d’Altamira. Mais c’est bien la seconde salle ornée de bisons polychromes, de chevaux, de cervidés et même de sangliers qui la rend unique. Découverte à la fin du 19ᵉ siècle par un préhistorien amateur, elle est classée en 1985 au patrimoine mondial de l’Unesco. Entre temps, des milliers de visiteurs sont venus l’admirer. En 1955, on recense déjà 50 000 visiteurs et jusqu’à 174 000 en 1976. Or, comme pour la grotte de Lascaux, en Dordogne, ce tourisme de masse et le CO2 rejeté par les nombreux visiteurs est venu perturber l’équilibre atmosphérique de la grotte, préservé depuis 17 000 ans. En 1977, elle est fermée au public. Mais la pression économique et touristique pousse à rouvrir cinq ans plus tard avec une jauge à 11000 personnes. En vain. « Ils se sont aperçus qu’il y avait encore une dégradation des peintures », explique Sylvain Mangiarotti, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et qui travaille au Cesbio à Toulouse. « Aujourd’hui, c’est cinq visiteurs par semaine maximum et ils ont ouvert un musée avec des copies ».

Comprendre la dynamique de la grotte grâce aux satellites

Les données satellitaires sur l’humidité du sol et sur la température permettent d’en déduire la concentration en CO2 dans la grotte

Lorsqu’en 1982, le gouvernement espagnol décide de rouvrir la grotte avec une jauge de 11 000 personnes par an, aucune donnée ne permet de savoir si cette limite sera suffisante. Entre 2007 et 2013, des relevés in-situ sont effectués ce qui va permettre d’établir un premier profil. Mais les instruments se dégradent rapidement, il est difficile d’obtenir des relevés sur le long terme et encore plus de créer un modèle basé sur l’intelligence artificielle. C’est Marina Saez, une étudiante en thèse qui, il y a quelques années, va se tourner vers le Centre d’Etudes Spatiales de la BIOsphère (Cesbio) et vers Sylvain Mangiarotti, convaincue que les outils développés par le laboratoire toulousain peuvent lui permettre de modéliser la dynamique de la grotte. « On s’est rapidement rendu compte qu’il y avait un lien entre le CO2 et des variables de surface et notamment avec l’humidité du sol. Mais le gradient de température entre la température extérieure et celle de la grotte est aussi un élément déterminant. Il génère des différences de pression qui favorisent les échanges » détaille Sylvain Mangiarotti.

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Sylvain Mangiarotti de l’IRD dans son bureau au Cesbio, a participé à l’équipe qui a établi ce modèle de la dynamique de la grotte d’Altamira.

© Cité de l’espace

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Le satellire SMOS a été lancé en 2010 par l’Agence spatiale européenne pour surveiller l’humidité des sols et la salinité des océans.

© ESA

Des équations pour un modèle

Du coup il y a trois ans, ils ont créé un nouveau modèle. Une équation, basée sur les système dynamiques non linéaire, la théorie du chaos. Et pour les données, ils se sont appuyés d’abord sur celles de SMOS (Soil Moisture and Ocean Salinity). Ce satellite de l’Agence spatiale européenne et lancé en 2010 est chargé de mesurer l’humidité des sols et la salinité de la surface des océans. Ils se sont ensuite aidés de celles du satellite américain MODIS ( Moderate-Resolution Imaging Spectroradiometer) pour la température au sol.

On renseigne les différentes variables et on obtient un scénario. Passé, présent mais aussi futur. Et ça marche. Le modèle retrouve les données recueillies in-situ. On peut même y ajouter le nombre de visiteurs figurant dans les archives de la grotte pour suivre la concentration en CO2 très précisément depuis 1950. Les chercheurs ont ainsi pu établir qu’au plus fort de sa fréquentation, la concentration en CO2 atteignait 30 000 ppm, 4 à 6 fois plus que la concentration moyenne.

Des peintures condamnées par le réchauffement climatique ?

Les scénarios envisagés par le modèle envisagent tous une augmentation de la concentration en CO2

Et demain ? En intégrant les données prévisionnelles du GIEC, les chercheurs peuvent créer des scénarios pour le futur. « Comme on arrive à estimer ce niveau de CO2, aujourd’hui, on peut faire des scénarios en mettant un petit nombre de visiteurs ou un plus grand nombre ou en fermant complètement la grotte, d’avoir des estimations », assure le chercheur de l’IRD. Mais, avec le réchauffement climatique, aucun n’est véritablement optimiste. « On s’aperçoit qu’on va arriver à des niveaux qui sont très supérieurs à ce qui a fait la deuxième fermeture », s’inquiète Sylvain Mangiarotti. « Il faut s’attendre à une augmentation de CO2 significative en moyenne et avec des pics beaucoup plus forts. On peut fermer la grotte mais ce n’est pas sûr que ça suffise ».

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La grotte d’Altamira compte des bisons des cervidés, des chevaux et même des sangliers.

© CC BY-SA 3.0 igo  – Yvon Fruneau

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